Connaissez-vous l’histoire de la grenouille qui parvint à grimper en haut de la tour ?
Une bande de grenouilles décida d’organiser une course. L’enjeu était d’être la première à arriver tout en haut d’une très grande tour. Dès que la nouvelle de la course se répandit dans le village, des tas de grenouilles curieuses se rassemblèrent pour voir et soutenir les concurrentes. Pleines de courage et de motivation, les candidates se placèrent sur la ligne de départ et commencèrent à grimper. Mais très vite, les villageoises se mirent à faire des commentaires désobligeants : « Elles n’y arriveront jamais ! », « Elles sont bien trop lentes ! ».
Au bout de quelques minutes, certaines grimpeuses se sentirent démotivées et quittèrent la course. D’autres succombèrent à la fatigue et préférèrent s’asseoir pour regarder celles qui continuaient. Les commentaires des villageoises reprirent de plus belle : « Pour qui se prennent-elles, si c’était possible, nous l’aurions déjà fait ! » dirent certaines. « On n’a jamais vu pareille sottise, les grenouilles ne sont pas faites pour grimper ! » dirent d’autres. Les petites concurrentes malgré leur courage, commencèrent à mesurer les difficultés de leur projet. Elles quittèrent la course l’une après l’autre.
Toutes. Sauf une.
Elle grimpait lentement, sans relâche, tandis qu’autour d’elle les commentaires se faisaient de plus en plus insistants : « Descends, tu n’y arriveras jamais ! ». « Ce que tu es ridicule ! ». Pourtant, inlassablement, la petite grenouille continuait à avancer. Après un énorme effort, elle finit par gagner le sommet. Toutes se précipitèrent autour d’elle pour savoir comment elle avait fait pour réaliser ce que personne au monde n’avait encore jamais fait. L’une d’entre elles s’approcha pour lui demander sa recette.
C’est alors qu’elle découvrit que la petite championne était sourde…
Les mots et les images ont un pouvoir incommensurable sur la formation de l’opinion.
Le temps a passé depuis la fable de la grenouille, mais ce n’est pas YouTube ou Facebook qui me contrediront, depuis que n’importe quel contenu peut être écarté du jour au lendemain au prétexte de non-conformité aux règles qu’ils définissent eux-mêmes. Paradoxalement, ça ne gêne pas Meta, au nom de la liberté d’expression, d’autoriser les publications appelant à la mort d’un chef d’État et de son armée. Nous avons donc affaire à un système dictatorial et monopolistique associant pouvoir législatif (définit les règles), exécutif (met en oeuvre les règles), et judiciaire (applique et interprète les règles, incluant même le bourreau (applique les peines).
Si Edward Bernays, l’inventeur du terme de « relations publiques » pour remplacer celui de « propagande », en rêvait, Facebook l’a fait. Pour ce théoricien de la manipulation des masses, les relations publiques consistent à façonner l’opinion par tous les moyens possibles, en s’appuyant notamment sur les médias et les journalistes pour faire passer son message. Transformer de la communication en manipulation, Bernays appelait ça « l’ingénierie du consentement ».
Dès 1917, l’homme fit ses armes auprès de la Commission de l’information publique du président Woodrow Wilson, qui avait pour mission d’expliquer aux millions de jeunes hommes appelés sous les drapeaux — et aux millions d’autres Américains qui venaient d’élire Wilson sur un programme de neutralité — pourquoi ils devaient maintenant soutenir la guerre.
Dans sa croisade pour rendre le monde sûr pour la démocratie — une expression reprise, dans l’ordre chronologique depuis 1980, pour justifier les ‘interventions’ américaines en Iran, Libye, Liban, Koweit, Irak, Somalie, Bosnie, Arabie Saoudite, Afghanistan, Soudan, Kosovo, Yémen, Pakistan, and dernièrement Syrie, ça vous dit sûrement quelque chose —, l’administration Wilson prit des mesures immédiates au niveau national de mise en œuvre d’un plan de contrôle de l’information, de manipulation de l’opinion américaine et de censure de toute couverture médiatique dissidente, à une échelle jamais vue dans l’histoire des États-Unis. Elle mena une campagne d’intimidation et de suppression pure et simple des journaux qui continuaient à s’opposer à la guerre. Prises ensemble, ces mesures ont constitué une attaque sans précédent contre la liberté de la presse.
La suppression dans l’espace public de médias comme RT et Sputnik offrant une version moins monomaniaque des évènements n’a donc rien de surprenant. On retrouve déjà ces techniques de manipulation des masses chez Platon (les nobles mensonges), Machiavel (la fabrication du mythe), et plus récemment chez Noam Chomsky (la fabrication du consentement).
En revanche, l’omniprésence actuelle des outils médiatiques publics et privés rend la manipulation particulièrement efficace, puisque celle-ci se diffuse désormais de manière quasiment homogène et permanente à l’échelle planétaire.
Le biais de conformité, un outil redoutablement complémentaire à la propagande
L’expérience menée dans la séquence suivante est particulièrement parlante. Sans se poser aucune question, sans aucune explication ni justification, nous avons tendance à suivre aveuglément le comportement du groupe.
Après juste trois bips, et sans même savoir pourquoi elle le fait, cette femme se conforme parfaitement aux réactions des autres patients. Pire, lorsque le groupe a disparu et qu’elle reste seule dans la pièce, elle continue à suivre la règle qu’elle s’est elle-même imposée.
Jonah Berger pose que cette forme de comportement provient d’un apprentissage social auquel nous sommes habitués dès notre plus jeune âge, lorsque notre cerveau nous récompense de suivre les habitudes du groupe dans lequel nous évoluons. La jeune femme explique : « Lorsque j’ai vu tout le monde se lever, j’ai ressenti le besoin d’en faire autant sous peine d’être exclue du groupe. Lorsque j’ai décidé de m’y conformer, je me suis sentie beaucoup plus à l’aise ».
C’est fascinant et terrifiant à la fois.
Fascinant parce que ça démontre la facilité avec laquelle nous pouvons nous rallier à une cause, à partir du moment où celle-ci est largement soutenue, et sans même nous poser la question de sa légalité (conformité au droit), sa légitimité (justification de la légalité au regard de la coutume, du charisme et de la rationalité), sa moralité (adhésion à un ensemble de valeurs et de principes) ou son éthique (réflexion argumentée en vue du bien-agir). Dans l’exemple de la vidéo, la patiente ne se pose même pas la question du sens de son geste.
Terrifiant parce que la cause est susceptible d’être ralliée par chacun de nos proches, gavés de propagande, rendant toute vision discordante de plus en plus difficile à maintenir sur le long terme sous peine d’être socialement exclus. Pour compenser, le contradicteur cherchera autour de lui un certain nombre d’alliés qui, en plus de conforter son point de vue, s’établiront comme un nouveau réseau d’échange au détriment du groupe initial. La discussion entre les deux deviendra impossible, se transformant bientôt en affirmations péremptoires voire en invectives, comme en témoignent les commentaires tranchés dans les réseaux sociaux.
On peut étendre ce questionnement à la politisation du risque, l’un des nombreux écueils à prendre en compte lorsqu’on les analyse. Dès lors que les décideurs orientent le travail des analystes, ils sont en mesure de limiter l’étude des risques à certains systèmes ou parties du système seulement. Il leur est également possible d’inclure ou d’exclure telle ou telle menace de l’étude, auxquels cas l’exercice d’analyse est biaisé dès le départ.
Alors, une surdose de médias rend-elle con ?
J’avoue que la question est posée de manière polémique, chacun pouvant être identifié comme le con de quelqu’un d’autre. À ce propos, certains d’entre vous sont-ils invités à diner mercredi soir ? En revanche, il est certain que le matraquage médiatique associé au biais de conformité rendent aveugle et sourd à toute position hétérodoxe au message dominant.
Posons-nous quelques questions simples :
- Quelle a été l’influence des spectateurs sur les performances individuelles des grenouilles lancées à l’assaut de la tour ?
- Quelles auraient été les conséquences sur la vie de la patiente si elle avait décidé de ne pas se lever au son du bip ?
- Quelle est l’influence sur le corps électoral de sondages publiés quotidiennement plusieurs mois avant les élections, montrant un président sortant loin devant ses concurrents ?
- Quelle est l’influence d’une communication de « guerre » contre le COVID sur la mise en place d’outils de contrôle social ?
- Pourquoi les médias surfent-ils en permanence sur les peurs au détriment des succès et des bonnes nouvelles ?
- Pour quelles raisons les États ont-ils besoin de se fabriquer un ennemi ?
- En quoi le bombardement de l’Ukraine en 2022 par Moscou au profit du Donbass est-il pire que le bombardement de la Serbie en 1999 par l’OTAN au profit du Kosovo ?
- Pourquoi est-il inconcevable que l’Iran, à l’instar de la Corée du Nord ou du Pakistan, se dote de l’arme nucléaire ?
- En quoi la menace existentielle brandie par Washington face à une base avancée du Pacte de Varsovie à Cuba (Kennedy, 1962) est-elle différente de la menace existentielle brandie par Moscou face à un élargissement de l’OTAN à l’Ukraine (Poutine, 2022) ?
- Pendant que nos gouvermédias orientent notre attention sur un seul et unique sujet, de quels autres sujets d’importance omettent-ils de nous parler ?
- Quelle est l’influence sur l’opinion publique de la mise en avant à toutes les sauces du drapeau ukrainien dans la sphère publique et dans le secteur privé ?
- Pourquoi voter ?
Je vois que vous suivez. Vous pouvez maintenant ranger votre masque anti-COVID aux couleurs de l’Ukraine et éteindre la télé…