Comment survivre à une relation avec un auteur ?

J’en vois déjà certains pour qui l’expression « survivre à une relation avec un auteur » ne relève ni plus ni moins que de l’exagération. Parce qu’un auteur, hein, c’est un humain comme les autres, avec ses hauts et ses bas, ses qualités et ses défauts, ses irritants et ses relaxants.

C’est vrai et pourtant, fréquentez-vous beaucoup d’individus qui ont vingt pages d’historique internet sur la meilleure façon d’empoisonner son conjoint, ou maîtrisent un don d’ubiquité leur permettant d’être physiquement présents à un dîner à Montréal tout en évitant par l’esprit une rafale de pistolet-mitrailleur dans un parking souterrain de Tel-Aviv ? Ah !

Ceux qui côtoie un auteur de près le savent, ou vont vite s’en apercevoir, ce genre de personnage hypersensible doit parfois se manier comme le lait sur le feu, et je ne parle pas uniquement de ceux qui rédigent des romans à l’eau de rose : il faut pas mal d’affectivité pour faire correctement adhérer le lecteur à une odieuse scène de torture.

Voici donc quelques trucs et astuces pour tirer le meilleur parti de votre relation avec un auteur.

Évitez autant que possible les questions liées à l’édition

Sauf dans le cas où le regard de l’auteur brille parce qu’il vient d’être invité à rejoindre une maison d’édition majeure, c’est un sujet sensible à esquiver de manière générale. La route entre la première idée de roman et sa publication est longue et fastidieuse, un peu comme un marathon. En plus, une bonne partie du processus est hors de contrôle de l’auteur, notamment l’acceptation de son manuscrit par l’un des éditeurs auprès desquels il aura postulé.

Pour la petite histoire, certaines maisons mettent jusqu’à un an pour répondre, la plupart entre trois et six mois. Sur cent manuscrits qu’elles reçoivent, elles en éliminent d’emblée quatre-vingt-dix et en publieront un. John le Carré a commencé à être connu avec son troisième roman, L’espion qui venait du froid, tandis que Stephen King raconte avoir punaisé les lettres de refus sur l’épaisseur de deux clous avant de voir Rage enfin publié dans l’indifférence générale.

Pour rester en bons termes avec un auteur, il est donc de bon ton d’éviter les questions du genre « Quand ton livre va-t-il être publié ? », « N’aurais-tu pas aimé écrire le dernier best-seller ? », ou encore « L’amie d’un de mes amis vient de sortir son premier roman chez Gallimard, c’est génial, non ? ».

Il est normal que l’auteur disparaisse parfois, au propre comme au figuré

Un auteur peut choisir d’intégrer n’importe quoi dans sa prochaine fiction, un lieu, un personnage, un parfum, un objet ou une simple ambiance. Aussi, il n’y a rien d’anormal à ce qu’il se lève pendant une soirée : il aura envie d’aller vérifier si un corps flottant dans la piscine est visible depuis la terrasse, ou tripoter chacun des outils pendus dans le garage de ses hôtes, hésitant entre le tournevis et le marteau pour s’affranchir d’une serrure. Il se pourrait également qu’il observe un pneu pendant de longues minutes avant qu’un discret sourire se dessine sur ses lèvres, ou qu’il se place dans l’angle d’une pièce, comme s’il était puni, pour mieux en saisir une perspective. 

Au figuré, il peut être physiquement présent dans une conversation tout en étant mentalement absent, l’esprit soudainement occupé par la réponse à une lancinante question à traiter dans le chapitre quatre. Il n’y a non plus rien d’étonnant à ce qu’il préfère évaluer avec précision le fil de la lame de votre couteau à steak plutôt que de vous répondre; il y a d’ailleurs de bonnes chances qu’il n’ait même pas entendu votre question. C’est également normal de le retrouver assis dans une chaise à regarder dans le vide, c’est souvent le moment où des idées disparates parviennent enfin à s’emboiter. 

Ça n’en a pas l’air au premier abord, mais lorsqu’il s’absente au propre ou au figuré, c’est qu’il travaille.

Lorsqu’il écrit, l’auteur a une relation particulière au temps

Dans le marathon d’écriture, il y a des moments où l’auteur peine à avancer — le fameux mur des trente kilomètres —, mais il y a heureusement beaucoup d’autres moments où l’histoire se développe de manière tellement naturelle que le temps n’existe plus. Une vraie frénésie d’écriture. Un maelström d’idées originales. Des péripéties comme si les personnages avaient littéralement pris le contrôle du clavier. 

Ce sont des moments où « cinq minutes » valent plusieurs heures, où « j’arrive » vous laisse le temps d’organiser les vacances pour les trois prochaines années, où « un instant » signifie une demi-journée. Ce sont des moments particulièrement prolifiques pour l’auteur, desquels il sortira au mieux contrarié, au pire dévasté, si vous l’interrompez pour des activités aussi viles que manger, sortir les poubelles ou nourrir le chien. 

J’y reviendrai.

Pour un auteur, le mot « juste » n’existe pas

Il n’y a ni petit juste, ni grand juste, il n’y a juste pas de juste. Je vais vous révéler ce qui se passe dans la tête d’un auteur lorsqu’on lui pose les questions suivantes :

« Pourquoi n’écris-tu pas juste une heure et on y va ? » : Parce qu’une heure, c’est le délai nécessaire à me replonger suffisamment dans mon histoire pour en bâtir la suite.

« Pourquoi n’as-tu pas juste envoyé ton manuscrit chez Flammarion et Albin-Michel ? » : Veux-tu que je te parle aussi des vingt-quatre autres maisons que j’ai contactées depuis un an ?

« Tu ne voudrais pas juste publier une version française de Guerre & Paix et prendre ta retraite ? » : J’y pensais justement, mais je m’en voudrais de faire de l’ombre à Tolstoï.

« Tu ne voudrais pas juste appeler l’éditeur pour savoir où en est ton manuscrit ? » : Je vais te faire relire la partie sur les questions liées à l’édition. 

Ne vous cherchez pas parmi les personnages

À moins que vous ne lisiez une biographie, il n’y a aucune chance qu’un des personnages soit complètement vous ou quelqu’un que vous connaissez. L’auteur repère, trie, combine, améliore un trait, en atténue un autre. Il y aura peut-être certaines ressemblances, mais en général, ce ne sera pas votre portrait craché. 

Un personnage, par nature, est une combinaison de traits physiques, intellectuels, psychologiques, de contexte, d’histoire et d’intégration dans une combinaison d’évènements. Et même si la vilaine vous ressemble par certains côtés, ce n’est pas vous, ce ne sont que quelques-unes de vos caractéristiques dont l’auteur a eu besoin pour construire son personnage. Ça ne signifie pas pour autant que l’auteur vous déteste.

Il y a évidemment des exceptions…

Mieux vaut ne pas déranger un auteur lorsqu’il écrit

Il n’y a aucun bon moment pour interrompre un auteur en plein processus d’écriture : soit il est lancé et ça va lui prendre des dizaines de minutes à se remettre dans l’histoire, sans compter l’idée géniale qui peut disparaitre comme par enchantement au moment de l’interruption. Soit il galère, il est donc irrité, frustré et déçu à la fois. Toute intervention extérieure ne fera qu’aggraver les choses, même un geste aussi gentil que de lui apporter un bon café fumant. S’il en a suffisamment envie, et s’il en a le temps, il ira se le chercher lui-même, au bon moment.

Il se trouve qu’un auteur écrit beaucoup. Pas seulement sa prochaine fiction de cent mille mots et trois cent cinquante pages, mais également de courts textes, des nouvelles, des résumés, des exemples de dialogues, de situations ou de rencontres. Ou, pourquoi pas, un article sur la façon de survivre à une relation avec lui.

Il se perfectionne ainsi de la même façon qu’un nageur s’entraîne en nageant et un peintre en peignant.

Il peut être bon de déranger un auteur lorsqu’il écrit

Oui, c’est exactement l’inverse de ce que je disais avant. 

Il se trouve que l’auteur peut être tellement pris dans son processus d’écriture qu’il en oublie les bases de l’interaction sociale. Ainsi, vous pourriez lui rappeler qu’il n’est pas forcément sexy en pyjama à deux heures de l’après-midi, que l’odeur dans son bureau ne provient pas l’usine du bout de la rue, ou qu’un baiser ne sera accepté qu’à condition qu’il se lave les dents. 

Il va probablement bougonner un peu, laissez-le faire. Il vous remerciera plus tard, après le bisou.

Pour finir, une dernière recommandation : si, malgré tous ces conseils, vous vous disputez avec un auteur, faites en sorte d’en faire un instant mémorable. Les tordus-là sont toujours à la recherche de bonne matière pour alimenter leurs romans.