Terminologie guerrière et communication politique : un explosif à mèche lente

C’est en réponse aux attentats de 2001 que Georges W. Bush déclarait, le 16 septembre, la guerre contre le terrorisme (« War on terror ») en décidant de recentrer les moyens militaires américains dans un combat contre les principaux groupes armés d’obédience sunnite tels qu’Al-Qaida, l’État islamique, et les Talibans avec l’inefficacité que l’on connait.

Dès le début, la métaphore guerrière a laissé les spécialistes du sujet plutôt dubitatifs :

  • d’une part, le terrorisme est un mode d’action, un choix tactique et/ou politique à la disposition de n’importe quel acteur, aussi faible soit-il, consistant à envoyer un message fort grâce à des moyens limités à un opposant qu’il n’a pas la capacité ou l’envie d’affronter par des moyens classiques,
  • d’autre part, le terrorisme n’étant pas un ennemi identifiable, on peut s’interroger sur l’efficacité de son éradication par l’emploi de moyens militaires.

Cette incongruité n’a pas échappé aux conseillers du président, puisque, quatre jours plus tard, ce dernier déclarait que sa guerre ciblait non seulement un « réseau radical de terroristes », mais également « chacun des gouvernements » qui les soutenaient. Pourtant, l’expression consacrée de guerre contre le terrorisme a perduré jusqu’à aujourd’hui, et donc bien au-delà de son armistice officiel, le 23 mai 2013.

Elle a non seulement perduré, mais également fait des petits, tant la communication politique semble n’avoir à disposition qu’une rhétorique militaire pour légitimer sa détermination et son efficacité. Et on comprend vite pourquoi : les forces armées sont un exemple d’efficacité, mettant en oeuvre des doctrines éprouvées au moyen de groupes soudés, entrainés et équipés, afin d’atteindre les objectifs stratégiques nécessaires, grâce à une série d’opérations tactiques complémentaires entre elles.

« Le renseignement me dit ce que je dois faire, la logistique ce que je peux faire, et je dis aux opérations que je veux faire. »

Général George Marshall

Preuve de leur performance quels que soient les terrains, les Forces se sont même pliées à jouer le rôle d’aides de services auprès de centaines de personnes âgées dépendantes. En uniforme camouflé de circonstance.

On comprend alors immédiatement l’abus de termes tels que guerre contre le virus, sensé attester de la détermination de nos dirigeants occidentaux; confinement ou encore couvre-feu, des outils classiques de domination par une force armée d’occupation; clusters, anglicisme vague de sens cher aux Français, renvoyant à ces saloperies de bombes à sous-munitions : ils permettent de maintenir les populations dans un tel état de terreur qu’elles sont prêtes à accepter n’importe quoi, pour leur bien évidemment. Entre nous, si les gouvernements s’intéressaient plus à notre santé et moins à nos impôts, ils commenceraient par interdire purement et simplement la vente et la consommation de tabac, responsable de 35 décès par jour au Québec.

Et c’est là où le bât blesse : autant il serait acceptable de voir un gouvernement s’immiscer dans les conduites individuelles devant un ennemi objectivement virulent, autant une telle stratégie devient compliquée à maintenir sur le long terme lorsque le gouvernement est contraint d’inventer une crise pour cacher les insuffisances chroniques de ses services publics. Pour tenter de gérer au mieux une défaillance systémique, nos politiques comptent, comme à leur habitude, sur une stratégie à courte vue mélangeant affirmations péremptoires, chiffres désincarnés, et décisions reposant sur une obscure gestion des risques aux indicateurs pour le moins discutables.

« Tant que vous maintenez deux mètres, tant que, si vous êtes à risque de croiser d’autres personnes, vous avez le couvre-visage, tant que vous respectez ce genre d’éléments, et que le nombre de personnes ensemble corresponde plus à ce qu’on appelle une famille, une cellule familiale, à la résidence… La police n’ira pas frapper sur des personnes qui ne sont pas informées, on est dans une nouvelle approche. »

Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique du Québec

Au Québec, par exemple, jamais le premier ministre ou le directeur de la Santé publique n’ont, lors de leurs points presse quotidiens, contextualisé la situation sanitaire liée à la COVID, et pour cause :

  • rappeler que le Québec perd 185 citoyens chaque jour de diverses maladies, ça offrirait une autre perspective du macabre décompte quotidien des quelques décès attribués au coronavirus;
  • montrer des courbes d’hospitalisation et de décès virtuellement plates depuis juillet, ça mettrait à mal la théorie de la deuxième vague. Qu’à cela ne tienne, il suffit de tester à tout va, notamment les populations asymptomatiques, avec des cycles d’amplification démesurément élevés pour obtenir une explosion de « cas actifs », à défaut d’un nombre crédible de malades ;
  • inciter les citoyens à se protéger de l’intérieur en renforçant leur système immunitaire, ça contrarierait pas mal à la fois le Scientifique en chef du Québec et l’obligation de confinement;
  • rappeler que l’espérance de vie au Québec est de 82 ans, ce serait relativiser le pic de mortalité COVID chez les 70 ans et plus (91,7%).

À court terme, cette stratégie pseudo-militaire est sans doute payante, en parvenant à cacher sous le tapis des décennies de politiques libérales consistant à considérer les services publics, notamment la santé, comme des centres de coûts devant être rationalisés : au Canada, depuis 1989, le nombre de lits d’hôpitaux pour mille habitants est passé de 6,3 à 2,5, soit une réduction de 60%, pendant qu’en Corée, sur la même période, il passait de 2,3 à 12,4 (+439%), et se maintenait constamment au-dessus de 12,9 au Japon.

Il devient alors crédible que l’unique stratégie de nos élus occidentaux consiste à escamoter les conséquences des terrifiantes insuffisances de leurs systèmes de santé, incapables de faire face au moindre surcroit d’activité. Et c’est d’autant plus facile dans notre Belle province, puisque nulle opposition scientifique, politique ou médiatique ne se fait entendre, et pour cause. Dans un pays se déclarant démocratie parlementaire, ça fait réfléchir…

Reste à savoir comment les citoyens, désormais privés de sorties, de sourires, d’embrassades et de fêtes de fin d’année vont réagir : victimes collatérales de la COVID, mais bien réelles d’un prévisible désastre économique et social, ils pourraient, en une sorte de suicide collectif, se laisser sombrer dans le désespoir, à moins qu’ils ne se lassent des discours monomaniaques consistant à justifier l’usage d’une massue pour se débarrasser d’une vulgaire guêpe posée sur une table en verre.

Il serait bon que nos soldats de la politique se souviennent qu’une mèche lente, si elle permet de retarder l’explosion, est un accessoire servant principalement à provoquer une mise à feu.

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