C’est l’histoire d’une chaise morte de peur

Sur une durée de trois semaines, j’ai assisté en compagnie d’une dizaine d’autres étudiants à un atelier sur la scénarisation. Sous la direction de Claire Pontbriand, il avait vocation à nous faire travailler sur la structure, les personnages, les dialogues et les lieux d’un récit destiné à être porté à l’écran. Outre de nombreux apports théoriques, nous avons dû nous soumettre à une large variété de travaux pratiques qui se sont révélés assez étonnants.

Un précédent article de blogue avançait que n’importe quoi pouvait servir de base à écrire une fiction et on en a eu la preuve dès la première semaine : l’exercice consistait à écrire un synopsis à partir du thème suivant : « Un danger menace une chaise ».

En avant tout le monde, vous avez vingt minutes…

Ce qui s’est révélé fascinant, outre les qualités rédactionnelles des différents étudiants, c’est qu’à partir de cette consigne quelque peu hermétique au premier abord, on a finalement obtenu autant d’histoires que de participants, toutes dans des styles différents : une chaise berçante, une chaise de pendu, une chaise d’école, un vieux fauteuil. J’en déduisais que l’article mentionné plus haut n’avait pas tort, on peut vraiment écrire une fiction à partir de n’importe quoi. Mieux, on peut même en écrire des tonnes.

Pour conclure, l’exemple de ce que fut ma modeste contribution :

La chaise ne se souvenait pas vraiment depuis combien de temps elle était une chaise. Ce dont elle se souvenait, en revanche, c’était du nombre de fois où l’on s’était assis sur elle : onze mille six cent vingt quatre, exactement. Si elle tenait une comptabilité aussi précise, c’est qu’elle s’était donné un but absurde, mais qui la motivait à tenir le coup au quotidien, celui de ne pas briser avant les douze mille.

Or, depuis l’aube, elle sentait insidieusement que cette journée allait être la dernière. Ce n’était ni la chaleur du jour ni l’humidité de la nuit qui auraient raison d’elle, mais les kilos en trop de son actuelle propriétaire. Il faut dire que celle-ci ne la ménageait pas : au lieu de se poser délicatement sur l’assise à ressorts qu’on lui offrait, elle se laisser la plupart du temps tomber lourdement, prétextant dans un soupir de douleur que ses jambes refusaient de la porter. Pire, elle avait pris cette sale habitude de se balancer d’avant en arrière comme si elle regrettait de ne pas avoir acheté une chaise berçante. Résultat, deux des quatre jambes de bois étaient maintenant percluses de fissures et la prochaine visite de la propriétaire serait vraisemblablement la dernière. Son pas lourd approchait, justement, et la chaise tenta en vain de se détendre en faisant craquer ses ressorts comme la vieille faisait craquer ses doigts.

La porte de la cuisine s’ouvrit en grinçant et la chaise observa avec horreur le corps massif s’avancer avec peine dans sa direction. On allait une dernière fois la tirer en arrière et s’effondrer sur elle. Si elle avait pu, elle aurait transpiré. Anticipant l’assaut, elle banda son bois de toutes forces, mais, au lieu de s’asseoir, la vieille se mit soudainement à tousser, encore et encore, de plus en plus violemment. Ses poumons émirent bientôt un son caverneux inquiétant et son corps s’effondra soudain sur le sol avec un bruit mou tandis que le dossier de bois lui échappait des mains.

La chaise laissa alors se détendre ses ressorts, tétanisés à l’idée de leur mort prochaine. Cette journée était bien la dernière, mais pas encore la sienne.

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le sur les réseaux sociaux et rejoignez mes abonnés !

[jetpack_subscription_form show_subscribers_total= »false » button_on_newline= »false » custom_background_button_color= »#d65050″ custom_font_size= »16px » custom_border_radius= »0″ custom_border_weight= »1″ custom_padding= »15″ custom_spacing= »10″ submit_button_classes= » » email_field_classes= » » show_only_email_and_button= »true » success_message= »Un e-mail vient de vous être envoyé pour confirmer votre abonnement. Veuillez cliquer sur le lien « Confirmer l’abonnement » dans cet e-mail pour valider votre abonnement. »]