Je suis incapable de me remémorer quand le conditionnel a disparu de la grammaire.
Le moment où l’impératif est devenu le seul temps admissible de la communication.
Cet effrayant virage où tout un pan du vocabulaire a purement et simplement été effacé du domaine public : adieu les bémol, degré, demi-teinte, dissemblance, distance, gradation, soupçon, tendance, tonalité, touche, variété.
Bienvenue aux vrai et au faux, au normal et au déviant, au sain et au malade.
Au blanc et au noir.
Y a-t-il eu un instant précis où nos sociétés sont devenues aveugles au point de ne plus discerner aucune variation dans les teintes de gris ? Une rupture en quelque sorte ? Ou plutôt un lent et inexorable glissement vers la disparition pure et simple de toute espèce de nuance ?
Parce que Maripier Morin, lors d’une soirée arrosée dans un bar comme il y en a des centaines, a mordu la cuisse de Safia Nolin, la voilà mise dans le même sac qu’Harvey Weinstein, une perverse sexuelle devant se plier à une thérapie pour espérer, peut-être un jour, reconstruire une carrière désormais en lambeaux.
Parce certains s’interrogent sur les raisons pour lesquelles, en France, la vaccination obligatoire est, en quelques années, passée d’un vaccin trivalent à une série de dix injections avant l’âge de deux ans, pour un total de onze vaccins, sont automatiquement traités d’inconscients, de complotistes, voire d’assassins. Tout comme ceux qui s’émeuvent de la vaccination contre le papillomavirus, responsable du cancer de l’utérus, chez des petites filles pas encore pubères, ou de l’étrange occultation du mercure de la liste des ingrédients vaccinaux.
Parce que nos dirigeants refusent de se fier aux chiffres que leurs propres agences diffusent, voilà toute une population mise en quarantaine sous prétexte d’une précaution qui devrait être simplement être considérée comme un élément d’appréciation parmi d’autres, au lieu d’en faire un principe d’action jusqu’à l’absurde.
Parce que je me demande quel genre de ressort sociologique ou historique me rend responsable de la politique coloniale de mon pays il y a un siècle, je rentre de facto dans la catégorie des blancs privilégiés et, en conséquence, racistes.
Parce que je ne peux être, aujourd’hui, que pour ou contre l’ensemble des directives du gouvernement, je ne peux pas suggérer qu’il est impératif de protéger les personnes à risque, tout en laissant le reste de la population vivre sa vie. Je ne suis pas entendu lorsque je m’interroge sur une méthode de comptage des morts pour le moins discutable, ou lorsque que je m’étonne, sur la base des chiffres officiels, que le taux de mortalité COVID des États-Unis soit inférieur à celui du Québec, en dépit un atroce matraquage médiatique en irresponsabilité de nos voisins du sud.
Quand avons-nous cessé d’observer, de réfléchir, d’énoncer les faits, de contextualiser, de débattre, d’isoler des causes et des conséquences, de confronter nos points de vues pour aboutir à une solution autre que binaire, l’absolution ou la guillotine ?
Cet avenir qu’on nous propose me terrorise, et je sais déjà que le potentiel, l’hypothétique, le doute, et l’expression prudente du futur, incertain par nature, vont terriblement me manquer.
Bientôt, il ne restera plus que les auteurs de science-fiction pour en remplir leurs pages.