Je ne me souviens plus où j’ai trouvé cette merveilleuse et terrifiante image marathonienne : le mur des 30 kilomètres.
En course à pied, il s’agit du moment où l’on a les jambes coupées et le moral dans les chaussettes. Ça frappe d’un seul coup, sans prévenir, lorsque le coureur n’a qu’une seule envie, celle de s’arrêter et d’en finir. De l’extérieur, on le reconnait à l’air hagard du marathonien qui semble tout à coup perdu dans une épreuve qui le dépasse.
Si je ne doutais pas que le mur ne soit pas uniquement l’apanage du marathon, j’ai découvert avec effroi qu’un auteur pouvait aussi avoir la plume coupée et le moral dans le caniveau, lorsqu’il n’a plus qu’une seule envie, celle de ranger le manuscrit au fond d’un tiroir et de tenter de l’oublier.
Sauf que ça ne marche pas. En tout cas pour moi. Je m’implique tellement dans la construction de mes fictions qu’il me parait inconcevable d’abandonner un travail à moitié terminé : j’aurais l’impression d’abandonner mes personnages.
Il y a de nombreuses raisons à la panne d’écriture, mais plutôt que de les énumérer, je préfère ne retenir que celles auxquelles j’ai eu à faire face. Elles sont au nombre de deux, ça tombe bien, j’ai écrit deux romans jusqu’à aujourd’hui.
100% de coups de mou, donc, un vrai succès…
La dispersion
Convaincu d’avoir une histoire qui tenait la route, et qu’il suffisait d’en écrire les premières lignes pour que la suite se construise au fur et à mesure, je me suis lancé dans Furor Arma à corps perdu. J’allais évidemment y parvenir sans trop d’efforts, vu que je venais de terminer la rédaction d’une biographie à vocation familiale qui ne m’avait pas vraiment donné de fil à retordre. J’abordais donc mon premier roman comme une course de 5 km, sans comprendre qu’il s’agissait en réalité d’une véritable épreuve de fond.
Je partais donc bille en tête, sans avoir vraiment réfléchi aux composantes incontournables de l’oeuvre : le concept, la trame, le message, sans compter, évidemment, les personnages qui apparaissaient selon les besoins.
Au bout de quelques mois d’écriture que je casais dans les trous d’un emploi du temps professionnel, je parvenais tant bien que mal au milieu du récit (50 000 mots) pour m’apercevoir que mon histoire ne tenait plus la route. En théorie, elle devait être construite, à partir d’un évènement déclencheur, sur la base de plusieurs personnages dont les destins allaient s’entremêler au fur et à mesure de l’intrigue. En pratique, les péripéties partaient tellement dans tous les sens que je ne voyais plus comment les faire logiquement converger. Et c’est à ce moment-là que l’auteur percute le mur, et qu’il réalise que deux choix s’offrent à lui : abandonner l’histoire, ou tout reprendre depuis le début.
J’ai choisi la seconde, mais ça m’a pris plusieurs mois mi-figue mi-raisin avant de m’y résoudre. Ça représentait énormément de travail, sans compter la frustration de s’être tellement précipité qu’il fallait tout recommencer ou presque.
Malgré tout, j’ai tout repris, point par point, personnage par personnage. Je suis devenu le roi du copier/coller et du réagencement de paragraphes. C’est aussi là que j’ai réalisé qu’une carte heuristique m’aiderait grandement à mettre l’histoire en forme.
Ça m’a aussi permis de découvrir le secret ultime de l’écriture : la marche à pied. Il ne me sert à rien de rester devant mon écran si je bloque sur un pan de l’histoire, un rebondissement ou un dialogue. Je ferme tout et pars marcher. En général, la difficulté se décoince toute seule au bout de quelques kilomètres. C’est, je l’avoue, assez miraculeux à constater.
En tout cas, l’effort en valait la chandelle, puisque Furor Arma sera bientôt publié.
Un conseil, donc, pour éviter la dispersion : bien penser à son histoire dès le départ, prendre le temps d’en écrire les grandes lignes, et, surtout, une chronologie de base du début à la fin. Formaliser l’évènement déclencheur et le dénouement va cadrer le récit, tout en se laissant la liberté à l’auteur, entre les deux, d’être agréablement surpris par de soudaines idées de rebondissement auxquelles il n’avait pas pensé au départ.
La fatigue
Armé de ce premier retour d’expérience, je m’attelais donc à la rédaction d’un second roman en toute confiance. Aidé du logiciel Scapple, je développais une histoire à partir d’un premier évènement, en définissait les personnages et les principales composantes. Je parvenais sans trop de mal à un dénouement logique, qui synthétisait l’ensemble.
Le truc que je n’avais pas anticipé, c’est la charge mentale que représente la construction d’un tel univers, d’autant que ce n’était pas le premier. J’avais passé une bonne partie de l’année 2018 à rédiger ma biographie. Même si j’évoluais dans un univers connu, ça m’avait pris pas mal d’énergie à rassembler les faits, les dates et les acteurs, puis à les articuler au sein d’un récit de vie de 120 pages.
Ce premier travail réalisé avec succès, je me laissais convaincre de poursuivre vers le monde de la fiction. Je prenais donc plusieurs semaines à m’interroger sur l’histoire que je voulais écrire, avant de me lancer dans une longue phase de recherche sur les sujets que j’allais aborder, et enfin d’écriture.
Ce que je n’avais en revanche pas anticipé, c’est la fatigue intellectuelle liée aux trois récits consécutifs. Il ne faut pas se voiler la face : lorsqu’on est dans une histoire, on y pense en permanence, jour et nuit (et ce n’est pas ma femme qui me contredira ! 💕). Dans les phases les plus chargées de la rédaction de Furor Arma, j’écrivais du lundi au vendredi de 8h à 17h, parfois plus tard.
Du coup, un peu découragé quelque part en février, je me trouvais toutes les bonnes raisons de ne pas poursuivre la rédaction : aller marcher parce qu’il fait beau, écrire un article de blog parce qu’il « le faut », juste regarder un film ou me perfectionner sur Affinity Photo parce qu’en fait, je ne me sentais pas d’écrire.
Au bout d’un loooooooong moment, l’esprit reposé, l’envie est revenue. Sauf que j’étais tellement déconnecté de l’histoire que je ne savais plus où j’en étais, et la tâche de terminer le récit me paraissait tellement insurmontable que je m’osais pas m’y atteler.
C’est alors que j’ai repensé au marathon et au conseil avisé d’un entraineur : plutôt que de partir pour 42,195 km, on se motive d’abord pour un semi (21 km). Arrivé au bout du semi, on poursuit par un 10 km, puis par deux 5km. Au bout de ces trois courses que l’on vient d’enchainer, il ne nous reste finalement que 1,195 km à parcourir, un détail.
Appliqué à l’écriture, ça signifie commencer par ne s’intéresser qu’au prochain chapitre. On refait le point sur là où l’on en est, et on note les quelques idées que l’on va développer dans les vingt prochaines pages. Et ça repart, comme par enchantement : on parvient à se replonger dans l’histoire. Le premier jour, la première idée ; le deuxième, les deux suivantes ; le troisième, deux ou trois de plus, et la motivation revient lorsque l’on constate que c’est finalement beaucoup moins difficile que ça n’en à l’air.
Avec cette technique, j’ai écrit les 25 000 derniers mots de la fiction en un peu plus de trois semaines, après neuf semaines d’arrêt.
La leçon que j’en tire est que, bien que des idées commencent déjà à germer pour un troisième livre, je devrais m’accorder quelques mois de repos à faire autre chose.
Ça tombe bien, on devrait se déconfiner bientôt alors que les beaux jours s’annoncent.
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